jeudi 14 octobre 2010

"Le Parisien" 14 octobre 2010 - Bataille judiciaire pour le cimetière marin de Roscoff




DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE - ROSCOFF (FINISTÈRE)
Abattu, je me relève. ». La devise familiale résume l'homme.

Renaud d'Herbais, 70 ans, sort de l'hôpital. Une embolie pulmonaire a failli l'envoyer à la tombe.
« Raté ! » s'amuse-t-il. Au cimetière, Renaud d'Herbais préfère s'y rendre vivant.

Depuis l'hiver dernier, il en sillonne régulièrement les allées sablonneuses, et pas uniquement pour se recueillir sur la tombe des siens. Le vieux cimetière marin de Roscoff est l'enjeu d'un combat qui sera tranché en première instance aujourd'hui, devant le tribunal administratif de Rennes (Ille-et-Vilaine).

Le 22 décembre 2009, le conseil municipal se prononce, à 14 voix contre 12, favorable à la désaffection de son vieux cimetière main, dit le Vil, ce qui signifie « la pointe ». Non pas, le jure la mairie, pour le transformer en parking ou vendre le terrain à des promoteurs avides de sa vue sur I'île de Batz. Mais avec ses vieilles tombes plus ou moins entretenues, dont certaines croix ont pris au fil des ans des allures de tour de Pise, la déambulation y serait aujourd'hui devenue « dangereuse ».


Certains caveaux déjà déplacés

Depuis 1978, date à laquelle la municipalité a implanté un nouveau cimetière à l'entrée de la ville, seuls les membres des familles qui possèdent déjà un caveau au Vil peuvent encore s'y faire inhumer. l'an dernier, deux enterrements y ont eu lieu, contre 45 dans le nouveau cimetière. «,Mais forcément, le Vil est moins entretenu, mais c'est logique puisqu'on incite les familles à ne plus y enterrer leurs défunts !» s'exclame Pierre Cuzon, historien local

La municipalité a même entrepris de faire déplacer certains caveaux vers le nouveau cimetière... avec plus ou moins de délicatesse, comme en témoignent quelques ossements humains laissés à terre.

Un « outrage », pour Renaud d'Herbais, qui, comme toute sa famille depuis des siècles, est né sur ce bout de Bretagne, et qui entend bien, comme ses ancêtres, y connaître le repos éternel. « Dans cette tombe repose François-Xavier d'Herbais, né en 1735, explique-t-il. Il a eu le bras emporté par un boulet lors de la guerre d'indépendance américaine! Dans celle-là, on trouve ma tante Marie, Mimi dans la Résistance, décorée par le général de Gaulle. »

Les d'Herbais ne sont pas les seuls illustres « résidents » du Vil. La tombe d'un pilote néo-zélandais, Frank William Stout, « mort en mer pour la cause des Alliés le 18 juin 1944 », est inscrite au recensement des tombes du Commonwealth.

Un peu plus loin, six caveaux de 1905 perpétuent la mémoire du naufrage du « Hilda », qui transportait plusieurs dizaines de « Johnnies », ces paysans finistériens pauvres qui chaque année à l'automne partaient vers l'Angletetre vendre leurs oignons.

«On ne peut pas se résoudre à balayer tout ça, sous prétexte que le lieu serait devenu dangereux », tranche Pierre Cuzon.

Comme une centaine d'habitants, il a adhéré à l'Association de défense du cimetière du Vil, dont les membres sont allés plaider la cause, en septembre, devant la justice.

ANNE-CÉCILE JUILLET